Otages intimes, Jeanne Benameur

Otages intimes, Jeanne Benameur


La guerre. Cette saloperie dont on ne revient jamais tout à fait, même si on revient... Soldat, civils, soignants ou journalistes, c’est vrai pour tout le monde. 

Ici, Etienne est photographe de guerre, et il est revenu. On ne sait pas de quelle guerre il s’agit, de quel pays, de quelle cause, mais tant mieux car au final ce n’est pas important, ça renforce le côté universel (et monstrueux) de la chose. Justement, ça montre bien à quel point la guerre est une aberration. Et pourtant il faut la photographier (le faut-il ?), pourtant il faut dénoncer, il faut montrer ce qui se passe “là-bas”, car évidemment ça se passe là-bas, pas ici, mais parfois on se pose la question : est-ce que tout ça change réellement quelque chose. Je me demande, je ne sais pas. C’est une des questions posées par le livre. Il n’y a pas de réponse, évidemment.

Etienne a été pris en otage. Il est revenu. On ne saura jamais non plus de qui il était otage, combien de temps il l’est resté, pourquoi ou contre quoi il a été libéré, mais pareil qu’avant, ce n’est pas important. En fait, vous l’aurez compris, c’est un livre où on ne nous dit pas grand chose du contexte et c’est justement ce qui fait sa force.

Au fil des pages, on comprend que oui, on peut être pris en otage mais on peut être aussi intimement otage de quelque chose. Ou les deux. C’est ce que nous montre Jeanne Benameur à travers ce petit roman. Parce dans cette histoire, tout le monde est un peu otage finalement. Otage de l’attente par exemple, comme Irène, la mère, qui a longtemps attendu son mari avant d’attendre son fils, comme Emma l’ex petite amie qui ne faisait pas le poids face au besoin impérieux de départ qui animait Etienne. Otages de leurs enfances, comme Jofranka et Enzo, pour des motifs différents, avec des réactions différentes. Bon et oui, bien sûr, otage tout court, comme Etienne. Tout court façon de parler parce que ça doit être infiniment long justement d’être enfermé, confiné comme il dit. D’ailleurs, après ça, on n’est plus jamais totalement libre. Un petit morceau de soi restera toujours confiné. On ne peut pas juste reprendre sa vie où on l’avait laissée, les autres ne peuvent plus vous voir non plus exactement comme ils vous voyaient avant. Vous êtes devenu un ex otage. For ever. Et il va falloir faire avec.

Donc voilà, rien que des choses impossibles à raconter, des choses que les mots ne peuvent pas dire, et pourtant Jeanne Benameur, avec sa plume magique, a réussi à exprimer tant de ces choses qu’il est impossible de rester indifférent et on devient forcément otage de ce livre en allant d’une traite jusqu’au bout. J’ai été ravie de découvrir cet auteur et je vais ranger ce roman dans ma bibliothèque imaginaire au rayon “retour de guerre” avec Un dieu un animal de Jérôme Ferrari, Ballade pour Leroy de Willy Vlautin et bien sûr Yellow birds de Kevin Powers.


Une p'tite phrase au hasard : 

" C'était les blancs entre les mots qu'il fallait savoir écouter. " 


Quatrième de couverture : Photographe de guerre, Étienne a toujours su aller au plus près du danger pour porter témoignage. En reportage dans une ville à feu et à sang, il est pris en otage. Quand enfin il est libéré, l’ampleur de ce qu’il lui reste à réapprivoiser le jette dans un nouveau vertige, une autre forme de péril.De retour au village de l’enfance, auprès de sa mère, il tente de reconstituer le cocon originel, un centre depuis lequel il pourrait reprendre langue avec le monde.Au contact d’une nature sauvage, familière mais sans complaisance, il peut enfin se laisser retraverser par les images du chaos. Dans ce progressif apaisement se reforme le trio de toujours. Il y a Enzo, le fils de l’Italien, l’ami taiseux qui travaille le bois et joue du violoncelle. Et Jofranka, “la petite qui vient de loin”, devenue avocate à La Haye, qui aide les femmes victimes de guerres à trouver le courage de mettre en mots ce qu’elles ont vécu.Ces trois-là se retrouvent autour des gestes suspendus du passé, dans l’urgence de la question cruciale : quelle est la part d’otage en chacun de nous ?De la fureur au silence, Jeanne Benameur habite la solitude de l’otage après la libération. Otages intimes trace les chemins de la liberté vraie, celle qu’on ne trouve qu’en atteignant l’intime de soi.

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