Tropique de la violence, Nathacha Appanah

Tropique de la violence, Nathacha Appanah

Samedi dernier j’ai regardé l’émission Échappées belles qui ce jour là était consacrée à Mayotte, ce confetti volcanique au cœur de l’océan indien (voilà, vous saurez tout sur ma life). Dans la foulée, j’ai achevé ma lecture du Tropique de la violence dont l’histoire se situe précisément sur cette île. 
Eh bien je vous le dis tout de go, j’ai eu du mal à faire le lien dans ma tête entre les images de carte postale exotique de l’émission, l’extraordinaire lagon, le monde vert de la mangrove perché au-dessus de l’eau et la réalité brute décrite par Nathacha Appanah dans son roman. Pas moyen de percuter, comment est-ce possible ? Il y en a un des deux qui ment, forcément !

Mais en fait non. Tout est vrai. C’est ça le pire peut-être, ce contraste incroyable entre l’effroyable beauté et l'effroyable brutalité. Tropique de la violence c'est l'enfer au paradis. Littéralement. La barrière de corail, les eaux turquoises, la végétation luxuriante, on n’en parle pas dans le livre. Ici les plages servent plutôt au débarquement des "kwassa kwassa" plein à craquer de migrants qui risquent leurs vies pour gagner ce petit bout de France où ils espèrent une vie meilleure. Au lieu de quoi ils se retrouvent dans un bidonville surnommé Gaza (ça veut tout dire non ?) : sordide, misérable et surtout, ultra violent. Et peuplé de jeunes livrés à eux-mêmes abandonnés par leurs parents arrivés clandestinement des autres îles des Comores et qui préfèrent - quand ils se font arrêter - déclarer ne pas avoir d’enfants pour éviter que ceux-ci soient expulsés. 
On ne sait pas vraiment si c’est une bonne idée, à choisir entre la peste et le choléra, je pense moi que ces enfants seraient mieux avec leurs parents malgré tout, d’où qu’ils viennent, quelle que soit la situation. Mais bon, d’un autre côté si ces gens font ça c’est qu’ils doivent avoir de bonnes raisons, je pense qu’on ne peut pas comprendre quand on ne le vit pas.

Au fil des pages on découvre des choses de plus en plus horribles, la vie de Moïse est à pleurer, tout simplement, celles des autres, y compris Bruce et sa bande, sont tristes à pleurer aussi. Ce livre est magnifique mais attention, il ouvre les yeux et arrache le cœur. Je suis peut-être complètement à côté de la plaque, mais j’ai l’impression que de tout ça, on n’en parle pas des masses. Et pourtant, Mayotte est une poudrière qui concentre bon nombre de problématiques dont on parle beaucoup en cette période de blabla électoraux : déplacement de population, urgence écologique, identité culturelle et religieuse, pauvreté, illettrisme, bref une île bourrée de défis pour le monde politique. A bon entendeur...

L’écriture de Nathacha Appanah est sans concession mais elle ne tombe jamais dans le voyeurisme, le misérabilisme ou la diatribe politique, au contraire, elle est juste, pleine d’humanité, et elle s’efface derrière les voix de ces personnages qui nous racontent chacun son histoire. Un roman polyphonique donc, pour une île polyphonique, on ne pouvait pas imaginer mieux.
Pour conclure j’ai envie de dire que c’est une lecture qui file une (vraie) claque mais dont on ne doit pas faire l’économie.


Une p'tite phrase au hasard : 

"Ce n'est pas parce que tu ne l'as jamais vu que ça n'existe pas."

Quatrième de couverture : Il y a une immigration constante et tragique dont la presse française ne parle pas. Elle se déroule dans un coin de France oublié de tous, cette ancienne île aux parfums devenue peu à peu un lieu cauchemardesque : Mayotte. C'est là que Nathacha Appanah situe son roman : l'histoire de Moïse, enfant de migrant rejeté par sa mère parce que ses yeux vairons sont signe de malheur. Recueilli et élevé avec amour par Marie, une infirmière, Moïse se révolte quand il apprend la vérité sur ses origines et décroche de l'école. A la mort brutale de Marie, il tombe sous la coupe de Bruce et de sa bande de voyous, issus du ghetto de Mayotte. Il a 15 ans, se drogue, vole et se bat. Humilié, violé par Bruce, il le tue. Pour échapper à la vengeance des amis de Bruce, Moïse se jette dans l'océan au cours de son transfert au tribunal. Ce beau roman à l'écriture sensuelle et limpide est une polyphonie narrative parfaitement maîtrisée, qui donne voix aux différents protagonistes, qu'ils soient morts ou vivants. C'est aussi un réquisitoire contre la misère, un appel au secours pour cette île coincée entre pression migratoire et montée infernale de la violence.

Mayotte bidonville

Commentaires

  1. Je pensais attendre sa sortie en poche, puis non. Ton billet fait trop envie. Je vais en librairie ce week-end! Moi, je lis précisément pour m'ouvrir les yeux et m'arracher le cœur!

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  2. Je pense que tu ne vas pas être déçue. Par contre vu la hauteur de ta pile à lire, tu peux facilement attendre la sortie poche ;)

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    1. Je suis revenue de la librairie avec un autre roman, sachant que Tropique de la violence paraîtrait à la fin de l'été en poche. Je vais patienter, mais ce n'est que partie remise!

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