Dans le silence du vent, Louise Erdrich

Dans le silence du vent, Louise Erdrich

C’est drôle parce que moi, le vent, je l’associe pas trop au silence. Ou alors il faut mettre des boules quies avant de s’exposer. Et là on comprends mieux, on ressent toute la violence du vent mais au lieu de l’entendre on entend ses propres bruits, ceux de l’intérieurs (c’est justement pour ça que je déteste mettre des boules quies, ça me fout les jetons d’entendre mes bruits du dedans). Ou alors, autre possibilité, le vent fait tellement de bruit qu’au bout du compte ce tumulte sert à dissimuler tout le reste, les hurlements, les pleurs, les appels à l’aide. Oui, oui, sans doute, c’est sans doute ça…

C’est bon, ne vous inquiétez pas, c’est pas pour noyer le poisson que je m’interroge comme ça sur le titre. C’est juste histoire de commencer par le commencement, de commencer tout court en réalité. Une fois n’est pas coutume et je vais le signaler sans plus attendre : ce livre est magnifique ! C’est mon premier Louise Erdrich et certainement pas mon dernier, c’est une évidence.

Encore un roman sur l’enfance, la construction d’un être, encore un roman sur la justice ou l’injustice (ce qui revient souvent au même), encore un roman sur la condition d’un peuple relégué au rang de sous-hommes, encore encore encore donc. Mais attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, encore ça ne veut pas dire une fois de trop, non, il faut en écrire des tonnes et des tonnes des livres comme ça, il faut continuer à montrer ce qui se passe, il faut nous mettre le nez dedans puissance mille, il faut le faire pour espérer que les choses changent un jour. Mince espoir mais bon... 
Si je disais “encore” c’est parce que j’ai pensé - en lisant - au Montana 1948 de Larry Watson ou à L’oiseau moqueur de Harper Lee. J’y ai pensé parce que ces histoires ont un point commun, un narrateur enfant “au moment des faits”, Scout, David et ici Joe sont trois enfants qui voient s'effondrer leurs illusions sur le monde des adultes au travers d’une affaire relevant de ce qu’on appelle communément (pompeusement ?) la Justice avec un grand J. Dans les trois cas d’ailleurs, je viens de le remarquer, un des parents de l’enfant occupe une fonction en rapport avec la loi, avocat, juge ou shérif. Dans les trois cas la notion de justice est toute relative et dans les trois cas on se prend en pleine face des préjugés raciaux issus d’un autre temps mais qui apparemment ont la vie dure.

Voilà, ça c’est pour expliquer le “encore”. Après, ce qui change ici, ce qui fait que ce livre acquiert une toute autre dimension (à mes yeux), c’est justement un peu une histoire de boules quies, une histoire d’intériorité quoi (pour ceux qui ont suivi). Oui, je pense que pour écrire Louise Erdrich doit mettre des boules quies et écouter ses bruits du dedans. Et les bruits qu’elle entend là-dedans, les silences qu’elle entend aussi, résonnent avec force dans son écriture parce que ce qu’elle écrit entre en résonance avec une partie de sa propre histoire. Les affaires indiennes, ça lui parle, et pour cause : d'origine Ojibwe par sa mère, elle souhaite honorer la mémoire de ses ancêtres de la réserve de Turtle Mountains. Donc c’est ça le secret, Louise Erdrich est vraiment DANS le silence du vent, elle sait de quoi elle parle, le vent lui murmure ses secrets dans le creux de l’oreille et elle parvient à placer réellement le lecteur dans la peau du jeune Joe. Avec lui, on apprend que les cris silencieux sont souvent ceux qui déchirent le plus le cœur et ceux qu’on ne peut pas cesser d’entendre, jamais… Implacable et magnifique, de A jusqu’à Z.

Alors oui, Dans le silence du vent vous trouverez beaucoup de grandes questions, la perte de l'innocence, l’égalité devant la loi, la possibilité ou non de se reconstruire après un traumatisme, l’influence de l’histoire familiale sur le développement d’un enfant (ce genre de trucs bien légers on est d’accord) et, bien entendu vous devez vous en douter, la plupart des réponses iront se perdre dans le vent… C’est la vie, c’est comme ça, Bob Dylan le savait déjà  ♪ ♫ The answer, my friend, is blowin' in the wind....


Une p'tite phrase au hasard : 

" Mais voilà, elle avait survécu à bien des morts et d'autres pertes et n'avait plus aucun sentiment." 

Quatrième de couverture : Récompensé par la plus prestigieuse distinction littéraire américaine, le National Book Award, élu meilleur livre de l'année par les libraires américains, le nouveau roman de Louise Erdrich explore avec une remarquable intelligence la notion de justice à travers la voix d'un adolescent indien de treize ans. Après le viol brutal de sa mère, Joe va devoir admettre que leur vie ne sera plus jamais comme avant. Il n'aura d'autre choix que de mener sa propre enquête. Elle marquera pour lui la fin de l'innocence.
«Si ce livre est une sorte de croisade, galvanisée par la colère de l'auteur, c'est aussi une œuvre littéraire soigneusement structurée, qui une fois encore rappelle beaucoup Faulkner.» The New York Times

Commentaires

  1. Rien que le titre est déjà magnifique. Une invitation à le lire. En terrasse avec une bière et pas sur une plage avec un cocktail, parce qu'avec ce vent, le sable me rentre dans les yeux et que le sable me crisse sous la dent...

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    1. Tu serais pas monomaniaque par hasard ? Bon je l'ai lu sur la plage sans cocktail avec du sable entre les dents mais comme c'est un gros bouquin je l'ai lu aussi sur ma terrasse avec une bière et des bretzels. Tu vois, tout est possible ;)
      Mais à part ça, tu peux te lancer dans le vent les yeux fermés, c'est sûr que ça va te plaire même au-delà du titre (ok les yeux ouverts c'est mieux pour lire)

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