The girls, Emma Cline

The girls, Emma Cline

N’importe qui peut faire n’importe quoi. Tout le monde est capable du pire. Voici deux affirmations qui peuvent se vérifier facilement. Par exemple en lisant The girls. 
N’importe qui, tout le monde… oui certes, mais pas forcément tout le temps on est d’accord (heureusement d’ailleurs !). Par contre, il suffit d’un rien pour faire tout basculer. Une faille, une fragilité, une prédisposition (parfois), un mal être, une révolte mal dirigée ou un simple passage à vide et tout d’un coup on se retrouve à faire quelque chose dont on ne se serait jamais cru capable. C’est encore plus vrai à l’adolescence, vous savez cette période compliquée où on ressent tout puissance mille, où tous les sentiments sont exacerbés et les réactions exagérées, cette période où tout paraît à la fois possible et insurmontable, cette période où se croit éternel et où la portée de nos actes nous échappe, bref cette période souvent galère par laquelle nous devons tous passer et qui laisse forcément des traces. 
Emma Cline le sait, comme tout le monde elle est passée par là, c’est pour ça sans doute qu’elle parvient si bien à décrire ce qui se passe dans la tête de son héroïne, Evie. Cette adolescente morose et livrée à elle-même est à la recherche d’autre chose, elle a un besoin éperdu de reconnaissance, elle veut se sentir exister, elle veut vivre des trucs, elle ne sait pas vraiment quoi mais il faut qu’il se passe quelque chose. Elle est tellement en attente que forcément, lorsqu’elle croisera le chemin de Suzanne elle va perdre toute jugeote et se laisser entraîner dans le sillage de cette bande de filles aux cheveux longs et aux robes sales, « aussi racées et inconscientes que des requins qui fendent l'eau ». 

Cheveux longs, robes colorées, drogues, musique, communauté, gourou, oh mon dieu oui, c’est une secte ! Mais Evie, totalement fascinée par Suzanne, ne se rend plus compte de rien… Evie admire, envie et désire Suzanne qui elle, vénère Russell, aveuglément.
A partir de là, le roman nous plonge dans le dark side du flower power et le soleil de plomb de cette Californie aride et poussiéreuse met cruellement en lumière cette face obscure des sixties dans laquelle on peut avoir à la fois des fleurs dans les cheveux, des drogues plein la tête et un couteau à la main.

Evie Boyd n’existe pas, Suzanne Parker n’existe pas, Russell non plus, mais pour son histoire Emma Cline s’est inspirée (sans s’en cacher) d’un fait divers atrocement tragique et mondialement connu, la folie meurtrière de la secte Manson. En août 1969, trois filles et un garçon membres de la “famille” Manson s’introduisent dans une villa de Berverly Hills et massacrent ses occupants, l’actrice Sharon Tate alors enceinte de 8 mois et quatre de ses amis. On y pense forcément tout au long de la lecture. Mais The girls, ce n’est pas uniquement ça, ne vous attendez pas à lire une espèce de thriller morbide, non Emma Cline ne se fixe pas sur le personnage de Russell, le gourou manipulateur, ni sur le crime en lui-même, elle prend le parti de s'intéresser plutôt aux filles qui l’entourent (d’où le titre, on l’aura deviné), ces pauvres adolescentes paumées, totalement sous l’emprise des drogues et sous l’influence de Russell. Evie avec Suzanne c’est un peu, comme dirait Axel Bauer ♫  Éteins la lumière - Montre-moi ton côté sombre ♫, une sorte de miroir obscur, Suzanne va inéluctablement s’enfoncer dans la noirceur tandis qu’Evie va échapper au pire mais se demandera toute sa vie ce qu’elle aurait fait si… Si si si… Elle ne le saura jamais, nous non plus. Mais ce n’est pas grave, lisez ce roman, franchement, je l’ai dévoré et il m’a laissé un peu le même arrière-goût amer que Virgin Suicide, et ça, pour moi, c’est un sacré compliment !


Une p'tite phrase au hasard : 

"Elle était perdue dans cette certitude profonde que rien n'existait en dehors de sa propre expérience."

Quatrième de couverture : Nord de la Californie, fin des années 1960. Evie Boyd, quatorze ans, vit seule avec sa mère. Fille unique et mal dans sa peau, elle n'a que Connie, son amie d'enfance. Lorsqu'une dispute les sépare au début de l'été, Evie se tourne vers un groupe de filles dont la liberté, les tenues débraillées et l'atmosphère d'abandon qui les entoure la fascinent. Elle tombe sous la coupe de Suzanne, l'aînée de cette bande, et se laisse entraîner dans le cercle d'une secte et de son leader charismatique, Russell. Caché dans les collines, leur ranch est aussi étrange que délabré, mais, aux yeux de l'adolescente, il est exotique, électrique, et elle veut à tout prix s’y faire accepter. Tandis qu’elle passe de moins en moins de temps chez sa mère et que son obsession pour Suzanne va grandissant, Evie ne s'aperçoit pas qu’elle s'approche inéluctablement d’une violence impensable.
Dense et rythmé, le premier roman d’Emma Cline est saisissant de perspicacité psychologique. Raconté par une Evie adulte mais toujours cabossée, il est un portrait remarquable des filles comme des femmes qu'elles deviennent.

Commentaires