Le châle, Cynthia Ozick

Le châle, Cynthia Ozick


J’ai lu avant celui-ci un livre qui s’appelait le chagrin des vivants dans lequel au bout du compte je n’ai trouvé ni vrai chagrin, ni vrais vivants. Tout juste des ombres de personnages peu crédibles et peu profonds flottant dans un après-guerre vaguement constellé de tranchées et de jambes de bois. De cette lecture j’ai déjà presque tout oublié - reste le titre. Plutôt joli, plutôt percutant, mais tellement peu adapté. C’est dommage, il faudrait peut-être faire quelque chose avec ce titre.  
Et si je le donnais à ce livre là ? Parce que c’est vrai que le châle de Cynthia Ozick est capable de recouvrir pas mal de choses. Indéniablement. Mais le chagrin ? Les vivants ? On pourrait croire que ça colle hein ? Bah zut non en fait,  j’ai beau retourner le problème dans ma tête, je crois que ça ne va pas aller non plus... 
Ah bon ? Quoi mais pourquoi ? Du chagrin on en a pourtant en veux-tu en voilà dans ces pages n’est-ce pas ? Une mère dont on tue l’enfant, pensez-vous, si c’est pas du chagrin ça, et bien sûr, le camp de concentration n’en parlons même pas. Une abomination. Forcément du chagrin donc. Et pis des vivants, il y a bien des vivants dans cette histoire non ? Rosa est vivante, Stella est vivante. Oui je sais mais oui mais non.
Pour le chagrin déjà ça va pas, le mot est trop faible, ici on est au-delà du chagrin, il n’y a pas de mots pour dire où on est d’ailleurs, mais cela se situe bien au-delà croyez-moi. Inqualifiable, indicible, ça c’est des mots, mais est-ce que ça suffit ? Est-ce que ça peut dire tout ce qu’il faudrait dire ? Pas sûr. Ensuite, concernant les vivants, ben pareil, on ne va pas pouvoir dire ça, parce que tout simplement on est très très au-delà du vivant. En effet, ici on n’a pas de vivants mais des survivants. Et le truc, c’est qu’il ne faut surtout pas croire que survivre c’est vivre, ne pas présumer que les survivants sont des vivants. Même rien qu’à regarder les synonymes on se rend compte que ça va pas, indemne, qui est indemne ici ? miraculé ? quelqu’un a vu un miracle ? sain et sauf, tiré d’affaire ? sans déconner on n’y croit pas cinq minutes. Non définitivement, survivre ce n’est plus vivre.

Alors voilà, on va garder le titre de Cynthia Ozick et basta. C’est vrai puisqu’au final elle ne nous parle ni de chagrin ni de vivants, de quoi peut-elle bien nous parler ? Bonne question. Le châle, un châle… Mais oui bien sûr, de mode, elle parle de mode, quoi d’autre ? Le châle, un accessoire fantastique - quasi magique-  qui permet de rester vivant, il réchauffe bien sûr, il cache et dissimule ce que l’on veut protéger, il peut même nourrir si on le suce à la place du sein maternel desséché, il délivre un jus composé de rien si ce n’est de particules d’illusion et d’espérance. Mais ce châle est aussi un linceul,  une créature tentaculaire qui a envahi l’esprit de Rosa la séparant du monde des vivants sans toutefois lui permettre de rejoindre celui des disparus, il la maintient dans son rôle de survivante, le seul qu’on lui concède dans cette société dégénérée. 
D'autres accessoires vestimentaires vont s’en mêler au fil des pages.Survivante. Stella lui offre une robe. Rayée. Des rayures pour une réchappée des camps ? Vraiment ? Survivante mais élégante. Elle flotte Rosa, elle flotte dans son entre-monde, elle flotte et elle sème des morceaux de tissus comme un tragique Petit Poucet, une culotte par ci, ses bonnes chaussures par là, et puis cette robe rayée. Survivante. Rosa ne peut pas oublier, c’est son drame. Les autres ont déjà oublié, elle n’est plus qu’une survivante. Pas une personne, pas un être humain. Elle est une survivante et elle n’a pas le droit d’être autre chose. 

Mais heureusement, un beau jour de lessive, par un accroc du châle, un petit yiddish se faufile et vient à rencontre de Rosa. Fabricant de boutons c’est son métier - humour yiddish ça, typique - un bouton pour réparer le châle. Persky, c’est son nom, est un charmant vieux schnock et il est surtout le seul qui voit en Rosa juste une femme, pas une survivante. Il va essayer de la ramener sur le sunny side of the street. Pas facile, mais après tout ça se passe à Miami et du soleil, y’en a par là-bas alors faudra voir... J’ai bien aimé ce vieux polak, j’adore sa façon de parler et il m’a rappelé de bons souvenirs, mais stop ça suffit maintenant, il est temps pour moi de rabattre le châle sur cette histoire.



Des fils sur les barbelés

" Autrefois je pensais que le pire était le pire, après ça rien ne pouvait être le pire. Mais maintenant je vois que même après le pire il y a encore plus."

Quatrième de couverture : Dans un camp de concentration, Rosa cache Magda, son bébé, dans les plis d'un châle. Mais une jeune fille de quatorze ans, rongée par le froid, s'empare du châle qui dissimule l'enfant. Alors survient l'innommable: un nazi découvre le bébé et le jette contre les barbelés électrifiés du camp. Trente ans plus tard, on retrouve Rosa à Miami. Sa fureur et sa mémoire sont intactes. Jusqu'au jour où un paquet arrive par la poste. C'est le châle. La sobriété de ce récit et son souffle font du souvenir de Rosa un hymne à l'amour au cœur de l'enfer. Le châle, qui a gardé " le goût d'amande et de cannelle de la salive de Magda ", est un rempart contre l'oubli, un appel adressé à chacun de nous pour que demeurent vivantes nos mémoires. 






Commentaires

  1. J'ai jamais lu Cynthia Ozick. Du coup, ça donne envie. À lire le résumé, je me demande comment ça se fait que tu t'as pas vidé une boîte de kleenex en le lisant? As-tu le coeur à ce point asséché? (Pas grave si tu réponds oui; moi, j'ai un coeur de pierre!) Ou bien ce châle était-il trop cousu de fils blancs. Dis-moi tout. Je suis intriguée...

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    1. Le truc c'est que cette quatrième de couverture est plutôt mal fichue, elle en raconte beaucoup trop et elle raconte mal. Non je n'ai pas eu besoin de kleenex, asséchée du cœur je ne sais pas, il est bien planqué mais il m'arrive de pleurer. Mais pas ici, ce livre n'est pas fait pour ça, il est fait pour garder les yeux ouverts et se souvenir.
      Et sinon, je pensais que les couettes avaient plutôt un cœur de plumes, j'en apprends tous les jours, vous avez une drôle de notion du confort dans ton pays loin là-bas ;)

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    2. Roman sur le devoir de mémoire, alors?
      Pour les couettes... Tu le sais, il fait frette, l'hiver. Nos couettes sont lourdes, remplies de poils de castor et d'orignaux. C'est pour ça!

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    3. Difficile de classer ce livre cocotte... Sinon, j'adorerais avoir une couette en poils de castor et d'orignaux, ça pète ! Tu as aussi une chaise en bois de cerf et une tasse en crâne de lapin ? Et je te parle même pas de ta toque avec queue de castor intégrée...

      Hé, je rigole hein ! je précise mais je sais que tu comprends (d'un autre côté on a vu déjà la difficulté parfois pour certaines notions de traverser le grand océan)

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  2. J'ai l'impression de redécouvrir ce roman, lu il y a une bonne quinzaine d'années. C'est dire, vu mon âge et l’Alzheimer, je n'en gardais pas beaucoup de souvenirs, juste des impressions. Et tes impressions me font revivre ce roman, presque sous un autre jour, sous d'autres cieux. J'aurais presque envie de prendre un Perrier-menthe ! Nooon, j'déconnne....

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    1. Les impressions c'est tout ce qui compte. Les souvenirs c'est compliqué, ici par exemple on voit bien que le "devoir de mémoire" peut avoir des effets pervers, pour certaines personnes il faudrait instaurer un "devoir d'oubli" ou au moins un droit à l'oubli, pour ne pas les enfermer dans le devoir de mémoire de ceux qui auraient vraiment besoin de se souvenir. T'arrives à suivre ? Tu sais que le Perrier-menthe rend philosophe et freine l’Alzheimer ?

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    2. La décision est prise, ferme ; finalement je n'ai pas envie de tenter le Perrier-menthe. Si il rend philosophe, j'ai peur de devenir chiant... déjà que...

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    3. Je vais faire semblant de ne rien avoir entendu, tu es déjà suffisamment philosophe pour avoir compris que la seule philosophie tient en trois lettres. Et t’as peut-être même pas assez Alzheimer pour ne pas savoir lesquelles. Indice, ça commence par un W...
      Étant moi même philosophiquement chiante je suis bien placée pour en juger ;)

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