Les Malaquias, Andréa Del Fuego

Les Malaquias, Andréa Del Fuego


Il y a un an, il y a un siècle, il y a une éternité, quand j’étais gamine, c’était l’été indien et avec mes parents on allait au Lac de Sainte Croix sur le Verdon. Là, on pouvait se baigner, on louait un pédalo, bref ce genre de trucs qu’on faisait en vacances, mais moi j’étais obsédée par une chose : le village des Salles-sur-Verdon qui avait été englouti sous les eaux à la création du lac dans les années 70 (à l’époque c’était tout frais, eh ouais ch’suis plus toute jeune). Mes parents m’avaient raconté l’histoire et ça me trottait tellement dans la tête que j’avais grave les chocottes d’aller dans l’eau, et même quand on avait un pédalo avec toboggan c’était no way pour que je m’y risque. Je pensais à toutes ces maisons là-dessous avec peut-être des gens dedans - même si on me disait que non bien sûr, tout le monde avait été évacué, même les morts avaient été transférés dans un nouveau cimetière… mouais, à d’autres.
Dans le même esprit, lorsque je suis venue m’installer dans l’Hérault il y a un an, un siècle, une éternité, c’était l’été indien aussi, j’ai découvert le Lac du Salagou, un de mes endroits préférés dans le coin, un lac de retenue comme celui de Sainte-Croix, et un lac avec aussi son village fantôme. Sauf que lui, il n’est pas englouti, non, le village de Celles a été exproprié lors de la mise en eau du barrage à la fin des années 60 car à terme il devait être englouti, mais ce n’est jamais arrivé. Depuis il est déserté, abandonné, à moitié en ruine, et j’adore m’y promener, c’est un peu mon petit Pompéi local sauvé des eaux (oui je suis fascinée aussi par ces villages recouverts des cendres du Vésuve, englouti, enseveli, même combat...).

Ça fait bien longtemps donc que j’ai un faible pour l’été indien et un attrait irrationnel pour les mondes engloutis. Qui a-t-il sous la surface des choses ? C’est entre autres pour ça que j’ai voulu étudier l’archéologie (pareil, il y a un an, un siècle, une éternité...) mais ça c’est une autre histoire. 

Oui parce que bon, c’est bien joli tout ça, mais quel rapport avec les Malaquias ? C’est vrai quoi, je suis là à blablater sur ma vie, alors qu’on ne m’a rien demandé. Mais j’y viens, pas d’impatience.

J’ai raconté tout ça parce que c’est une chose qui m’a tout de suite parlé dans ce livre, cette histoire d’engloutissement de village, de dissolution trouble du passé. Ici aussi il y a quelque chose dans les couches du dessous et il y a une grande puissance d’évocation dans l’écriture d’Andréa Del Fuego… “Andréa Du Feu”, un nom qu’on pourrait croire mystico-prédestiné pour écrire sur la noyade, vous ne trouvez pas ? Moi je trouve que ça annonce tout de suite la couleur, on sait qu’on va rentrer dans une histoire spéciale et on se doute (en tout cas on devrait le faire) qu’il va falloir mettre de côté sa rationalité avant de s’engager sur le chemin de la Serra Morena. Vous avez compris ? Prenez une dose de champi ou croquez le ver du mezcal parce qu’il va vous falloir un open mind pour apprécier cette lecture et vous mettre à croire aux miracles.

D’ailleurs justement, j’avoue que j’ai eu un peu peur au début car depuis quelques temps - et de plus en plus - j’aime avoir mes deux pieds fermement plantés sur la terre, voire aspirés par la boue pour être sûre de ne pas décoller. Je m’en tiens à la crudité du réel, j'essaie d’éviter les échappées oniriques parce que tout simplement en ce moment j’ai besoin de tenir mon esprit en laisse. N’importe comment, les résolutions les principes les préjugés les ‘je pensais que’ les ‘c’est pas pour moi’, tout ça, parfois, on prend un grand pied à passer outre et on se retrouve embarqué mine de rien dans un truc complètement ésotérique sans même avoir le temps de protester pour la forme.
Alors oui c'est vrai, normalement, je n’aurai pas dû trop aimer ce livre, vade retro satanas, mais au final, va savoir pourquoi, j’ai pas réussi à le poser avant d’en avoir fini. Peut-être à cause justement de cette histoire d’engloutissement (ennoiement, j’adore ce mot), qui sait ? Beaucoup aussi sans doute grâce au côté très visuel de l’écriture qui parvient à faire voyager assez loin même les personnes qui tentent de s’accrocher au quai avec des amarres en titane. “Avant le lever du jour, l’eau avait modifié le toucher des choses”.

Alors voilà, avec les Malaquias (supra biblique ce nom d’ailleurs, comme si c’était pas déjà assez vaudou par ailleurs, on nous rajoute un p’tit coup de prophète pour bien nous rappeler que les péchés seront fatalement punis un jour - eh ouais bande de nains, vous pensiez vous en tirer comme ça ?), les Malaquias donc (ça y est je m’égare) sont là pour nous rappeler que plusieurs mondes peuvent exister en parallèle, que le temps n’est pas une ligne droite et que les frontières sont parfois poreuses entre tous ces concepts philosophico-scientifiques - même que d'ailleurs, au final, c’est pas plus mal. 

À propos de final, j’ai vraiment beaucoup aimé la fin du roman où après cette grande ascension/descente/dissolution/évaporation on retombe (je trouve) dans quelque chose de bien réel et auquel je crois dur comme fer, à savoir la bitchitude de la vie. “En eau trouble, les substances ne se voient pas”, avec cette dernière scène me voilà comme un poisson dans l’eau, dans mon élément, les rendez-vous manqués, les malédictions, les ‘à deux secondes près’, les coups du destin, j’ai frémi de voir ces Malaquias pourtant si près du but, si proches, à deux doigts de se toucher, se perdre pour de bon juste comme ça, juste parce que c’est le hasard, juste parce que c’est la vie. Merveilleux.

Bon cette fois je dois vraiment vous laisser, j’ai mon tibia qui me démange, il faut que je trouve quel fantôme s’amuse à me torturer de la sorte afin de m’en libérer en l’attirant dans une grotte à double fond… Adeus meus amigos e cuidar de você...


Des glouglous dans la mare : 


" Ce n'est pas parce qu'une bougie a brûlé que la paraffine n'existe plus." 

Quatrième de couverture : Nuit d'orage dans la Serra Morena - la « montagne impraticable » du Brésil. La foudre s'abat sur une maison, ne laissant aucune chance au couple endormi. Leurs trois enfants, en revanche, survivent. L'aîné est embauché dans l'exploitation de café voisine. La fille est adoptée par une riche Arabe de Rio de Janeiro. Pour le benjamin, les difficultés ne font que commencer : se révélant atteint de nanisme, il ne quittera jamais l'orphelinat tenu par des religieuses françaises. Une fois adulte, la fratrie va chercher à se retrouver. Leurs vies se construisent, se croisent et se chevauchent, bousculées par l'évolution du pays. Dans la Serra Morena, morts et vivants cheminent ensemble, magie et réalité composent l'une avec l'autre. Un roman profondément humain et poétique, lauréat du prix José Saramago. « Une prose parmi les plus excitantes. » Express«Avec ce premier roman, la littérature brésilienne contemporaine prouve qu'elle peut être extraordinairement ­animée, magistralement écrite et parmi les meilleures au monde. Un livre pétillant et plein de vitalité. » Neue Zürcher Zeitung


Commentaires

  1. J'aime les petits bouts de vie qui mettent en appétit. Et celui-ci était particulièrement intéressant. Ennoiement, j’adore aussi ce mot! Bref, le sujet m'intrigue et je vais aller voir de plus près ce roman brésilien. Belle trouvaille!

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    1. Merci Madame Couette, je suis contente que tu saches apprécier l'ennoiement de ces villages, c'est aussi poétique dans la réalité que dans le livre.
      La trouvaille a été trouvée sur le blog d'un bison défricheur ;)
      Bonne nuit (soirée ? après-midi ? Je sais jamais quelle heure il est chez toi, on voit bien que le temps c'est une histoire compliquée et que ça tourne pas rond ...)

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  2. Magnifique impression plus ou moins impressionnée.

    Un pédalo avec Toboggan ! Pas connu cette époque, je suis du genre "le toboggan n'avait pas encore été inventé sur les pédalos". Par contre le village de Celles doit respirer d'une certaine atmosphère, ville fantôme comme on en trouve dans les westerns ou les zones contaminées, waouh, ça en jette...

    Sinon, sûr qu'il faille décoller les sabots de la boue pour parcourir les rives oniriques de cette lointaine contrée. Surtout avec de petites phrases, presque trop simples, mais chargées en poésie qui craque sous la dent comme un ver qui s'enfuit de la bouteille de mezcal et l'amertume se glisse sur les gencives...

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    1. Ah ah, merci pour l'impression ^^

      Dis donc, je ne pense pas que tu sois d'un âge tellement plus avancé que le mien, si ? Le toboggan sur pédalo existait bien en 1979, je te le certifie.

      Et sinon, si tu aimes les villages fantômes il y a Celles bien sûr mais encore plus impressionnant il y Oppède-le-Vieux sauf que comme y'a pas de lac là bas je l'ai pas noté ici. Encore une belle atmosphère de finitude...

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