La mort du roi Tsongor, Laurent Gaudé
Nan mais quand même, le roi Tsongor, quel homme ! dommage qu’il meure dès le début du livre… Stop, inutile de monter sur vos grands chevaux et de crier au spoil, je ne dévoile rien en disant cela puisque c’est écrit dans le titre. Donc il meurt, mais heureusement on a tout de même l’occasion de le connaître car son esprit est toujours présent et peut nous parler par l’intermédiaire de son fidèle serviteur, Katabolonga, seul survivant de l’un des peuples qu’il a décimé durant sa longue carrière de guerrier. En effet, le roi Tsongor a eu plusieurs vies et si quand nous faisons sa connaissance il nous apparaît comme un vieux monarque sage et plutôt bienveillant, on se doute bien que ce ne fut pas toujours le cas et qu’un empire de cette taille se conquiert avec acharnement, par la force et la violence. On comprend rapidement aussi que le sang versé pour asseoir ce pouvoir ne va pas tarder à réclamer réparation, et c’est ce qui se produit en effet.
Tsongor et là, sur ses vieux jours, bien tranquillement assis sur son trône en train de poursuivre mine de rien son expansion territoriale d’une autre manière, plus douce, en mariant sa fille unique au prince d’un royaume voisin quand soudain le destin le rattrape. Petit aparté : je dis plus douce mais ça dépend pour qui bien évidemment, car pour la jeune Samilia, je ne suis pas certaine que la manière soit douce puisqu’on ne lui demande pas vraiment son avis… mais bon, on dirait bien que c’est le sort des filles en ces temps là et en ces endroits là ( je ne suis hélas pas sûre de pouvoir parler au passé de ce type de sujet, mais là n’est pas la question cette fois-ci).
Bref, en ces temps là et ces lieux là disais-je, or justement il se trouve qu’on ne sait pas vraiment ni où ni quand cette histoire se déroule et c’est fait exprès à mon avis. C’est fait exprès car ce que nous livre ici Laurent Gaudé c’est une magnifique tragédie grecquissime par son esprit, ses ingrédients et sa construction. Alors oui, que ça se passe dans une sorte d’Afrique imaginaire (ce que laissent penser les noms des personnages et les descriptions des lieux), ne change absolument rien. Tout est là pour nous ramener dans cette Grèce antique, berceau du genre, tout est là et surtout l’húbris, la démesure et l’orgueil insensé d’un homme, cette prétention inacceptable de la part d’un mortel qui ne peut qu’entraîner qu’une punition cruelle de la part des dieux. C’est ainsi que le destin va se jouer de Tsongor, le sang, même très ancien, appelle le sang, la malédiction se transmet des veines du père à celles de ses enfants et il ne peut y avoir d'échappatoire.
En fin de compte, ce livre, c’est un peu l’histoire d’un seul homme racontée de façon déstructurée. Au début du livre, Tsongor meurt et c’est le milieu de l’histoire en fait, le point culminant de sa vie. Avant ça, c’était la glorieuse ascension de ce “self-made man” parti de rien avec une seule pièce en poche pour finir à la tête d’un empire immense. Après ça, c’est la désescalade, la chute inéluctable où tout est entraîné pour ne laisser de tout cela qu’un palais en ruine peuplé de singes… Hélas, pas de chance pour les enfants du roi, à lui la montée, la réussite, la gloire et la fortune, à eux la chute, la guerre fratricide et l’errance, mauvaise pioche : ils paient le prix du sang pour leur père. Tragédie oblige. Amour, honneur, vengeance, et au final tout est poussière…
J’ai vraiment beaucoup aimé cette lecture qui m’a souvent rappelé l’Œdipe sur la route ou l’Antigone de Henry Bauchau car ces livres sont traversés par le même souffle épique et nous montrent que, rois ou mendiants, nous pouvons tous finir pieds nus sur des chemins caillouteux…
Une p'tite phrase au hasard :
"Est-ce que je pourrai dire au moment de fermer les yeux, est-ce que je pourrai dire que j'ai été heureux ?"
Quatrième de couverture : Dans une Antiquité imaginaire, le vieux Tsongor, roi de Massaba, souverain d'un empire immense, s'apprête à marier sa fille. Mais au jour des fiançailles, un deuxième prétendant surgit. La guerre éclate : c'est Troie assiégée, c'est Thèbes livrée à la haine. Le monarque s'éteint ; son plus jeune fils s'en va parcourir le continent pour édifier sept tombeaux à l'image de ce que fut le vénéré -et aussi le haïssable -roi Tsongor.
Roman des origines, récit épique et initiatique, le livre de Laurent Gaudé déploie dans une langue enivrante les étendards de la bravoure, la flamboyante beauté des héros, mais aussi l'insidieuse révélation, en eux, de la défaite. Car en chacun doit s'accomplir, de quelque manière, l'apprentissage de la honte.
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