Le dimanche des mères, Graham Swift

Le dimanche des mères, Graham Swift

Vaut-il mieux être ou devenir ? (quoi ? peu importe... choisissez, riche, célèbre, grand, fort, président ou ce que vous voulez).
Bien souvent, je crois qu’il vaut mieux devenir. En tout cas c’est l’une des choses que l’on peut comprendre dans ce livre où l'héroïne se pose la question “Comment peut-on devenir quelqu’un si l’on n’a pas d’abord été personne ?” 

Ben justement, on ne peut pas. Ou alors c’est beaucoup plus difficile. On pourrait penser a priori que c’est l’inverse, que je raconte n’importe, quoi mais prenez deux secondes pour y penser : quand on “est”, qu’est ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on vise ? C’est quoi le but ? Par contre, quand on veut “devenir”, il y a un chemin à parcourir, un défi à relever, on donne un sens à sa vie et rien ne peut surpasser ce que l’on ressent quand on a réussi. Enfin je crois.

Dans cette histoire par exemple, nous avons d’un côté Paul Sheringham, qui “est” et d’un autre côté Jane Fairchild qui va “devenir”. Lui est fils d’aristocrate, jeune, beau, riche et désœuvré, il fait des études de droit sans trop se mettre la pression (à quoi bon puisque son avenir est assuré) et pour donner du piquant à sa vie il pilote un bolide et entretient une aventure en-dessous de sa condition avec Jane, domestique dans le manoir voisin. Jane est donc celle qui va “devenir”. Enfant trouvée, placée comme domestique à l’âge de 14 ans, elle est dotée d’un appétit de vivre peu commun doublé d’une soif d’apprendre qui va trouver à s’épancher au travers de la lecture. Car Jane a de la chance, son employeur l’autorise à emprunter des livres dans sa bibliothèque et c’est en partie grâce à cette fenêtre ouverte sur le monde qu’elle va pouvoir devenir quelqu'un, devenir écrivain pour tout vous dire. 

Le dimanche des mères est l’histoire d’une unique journée racontée bien des années plus tard par une Jane qui “est” désormais. En effet, la jeune femme de chambre est devenue une vieille romancière à succès qui se tourne vers son passé et nous raconte en détail ce 30 mars 1924 qui a si profondément marqué sa vie. Cette journée est gravée dans sa mémoire, elle l’a vécue certe, mais avec les années elle l’a aussi magnifiée, cristallisée voire fantasmée (c’est normal, après tout c’est son métier que de faire de la réalité une fiction, et parfois l’inverse).

Donc voilà, Graham Swift nous offre au final un minuscule roman qu’on lit le temps d’un instant, un roman dénué de toute mièvrerie et qui dégage une subtile odeur de nostalgie, comme un parfum d’orchidée... 
J’ai beaucoup aimé ce moment, ce moment raconté et ce moment de lecture. J’ai beaucoup aimé le personnage de Jane qui démontre une fois de plus que la liberté n’est pas là où on croit. Simple domestique, elle est en réalité beaucoup plus libre que ces aristocrates guindés qu’elle sert, prisonniers des convenances, des apparences et des attentes liées à leur rang. Eh oui, quand on n’est personne, il est plus facile de sortir du rang.
Elle fait des choses qu’aucune autre femme, parmi “les maîtres”, ne ferait. Quelle classe tout de même quand - nue comme une reine - elle déambule dans ce manoir vide ! Elle descend le grand escalier, mange une tourte à la viande dans la cuisine, parcourt les étagères de la bibliothèque et nous ne pouvons que la suivre en retenant notre souffle, les yeux écarquillés... Quelle classe et quelle délicate sensualité. On a l’impression de voir bouger les rideaux aux fenêtres et danser les grains de poussière dans les rayons de soleil, on sent le vieux parquet sous ses pieds nus, on respire le parfum suave et un peu entêtant des fleurs dans les vases en marbre du grand hall, bref, on peut vivre cette insolente journée de printemps comme si on y était et ça c’est beau.


Une p'tite phrase au hasard : 

" Elle avait compris que les livres étaient une nécessité, le rocher sur lequel était fondée sa vie."


Quatrième de couverture : Angleterre, 30 mars 1924. Comme chaque année, les aristocrates donnent congé à leurs domestiques pour qu’ils aillent rendre visite à leur mère le temps d’un dimanche. Jane, la jeune femme de chambre des Niven, est orpheline et se trouve donc désœuvrée. Va-t-elle passer la journée à lire? Va-t-elle parcourir la campagne à bicyclette en cette magnifique journée? Jusqu’à ce que Paul Sheringham, un jeune homme de bonne famille et son amant de longue date, lui propose de le retrouver dans sa demeure désertée. Tous deux goûtent pour la dernière fois à leurs rendez-vous secrets, car Paul doit épouser la riche héritière Emma Hobday. Pour la première – et dernière – fois, Jane découvre la chambre de son amant ainsi que le reste de la maison. Elle la parcourt, nue, tandis que Paul part rejoindre sa fiancée. Ce dimanche des mères 1924 changera à jamais le cours de sa vie. Graham Swift dépeint avec sensualité et subtilité une aristocratie déclinante, qui porte les stigmates de la Première Guerre – les fils ont disparu, les voitures ont remplacé les chevaux, la domesticité s’est réduite… Il parvient à insuffler à ce court roman une rare intensité, et célèbre le plaisir de la lecture et l’art de l’écriture.

Commentaires

  1. De tous les billets lus, je n'ai jamais été tentée plus qu'il faut. Mais voilà que je suis hyper curieuse. Tu as trouvé les mots pour piquer ma curiosité. J'attends sa parution en poche...

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    1. Tu devrais aimer (enfin je l'espère). Pour moi, ce livre a été un bon moment de lecture, comme une petite pause dans la campagne anglaise entre deux déceptions ;)

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